Je vis avec lui malgré moi,...alors malgré lui, je suis partie le balader, ce crabe!
Bien qu'encombrée de douleurs articulaires intenses et d'un syndrome main-pied, je suis partie avec lui au coeur du magnifique et immense site de Petra -la cité Nabatéenne de Jordanie-, sur le Mont-Nébo et dans le désert du Wadi-Rum. J'en reviens démantelée des bras aux pieds, mais heureuse.
Une semaine, avec mon mari et mon fils, semaine qui fut à la fois faite,
d'oubli de la maladie, d'échappée dans le dépaysement, de rencontres, avec l'émerveillement de la découverte et la légèreté d'être ailleurs, et de manière paradoxale, de présence chaque jour accrue des effets secondaires, marche de plus en plus difficile et limitée, jusqu'à tomber par terre,
mais métamorphosée quand même en plaisir: la contrainte de continuer à dos d'âne pour pouvoir monter les 800 marches menant au gigantesque Jebel el Deir, une découverte! ou l'obligation de recourir à un cheval pour me hisser au sommet du Haut Lieu Sacré, dominant tout le site de Petra, une occasion de chevaucher...J'ai trié, et n'ai gardé que le positif.
Et là-haut, le soleil, le vent, l'espace, la vue époustouflante, un sentiment de puissante liberté et de ravissement ! y oublier ses douleurs et vivre un sentiment étrange de victoire, de fierté d'être là en dépit de ce fichu crabe! car la vie n'est ni dans les pieds, ni dans les muscles, mais au fond de soi, dans l'esprit et le coeur !
La semaine aurait pu se vivre comme une lamentante frustration de ne pouvoir grimper, avancer à ma guise, plus haut, plus loin, de manquer d'agilité, d'avoir mal, mais cela n'a été qu'une semaine de plaisir et de satisfactions, un régal; et je m'en étonne, alors même que la dégradation physique était notable chaque jour un peu plus. Mais non, que du bonheur de découvrir, de l'allégresse de se sentir libre; la chevauchée au sommet du site, quelle dilatation de joie de vivre, quelle griserie; la découverte du Khaznab, ce fameux mausolée rupestre flamboyant se révélant à la sortie du défilé, fascinant, quelle tremblante euphorie !
Malgré les signes physiques incontestables, je ne me sentais pas malade après avoir monté et redescendu 800 marches sur le dos d'un âne, je m'étonnais presque de mes douleurs lombaires...ah! oui, c'est vrai, j'ai une métastase lombaire, est-ce prudent ?...bof, aucune importance, vivons!
Je comprends Patrick Segal lorsqu'il affirmait " Ce n'est pas seulement mon corps qui réclame cette traversée, c'est mon esprit qui veut traverser le miroir".
Désert du Wadi Rum, une découverte en 4x4 à défaut de pieds valides.
Une nuit sous la tente étonnante: d'abord des douleurs intenses dans tous les membres, à ne plus pouvoir même soulever un bras pour se tourner sur le matelas, le froid accentuant la raideur du corps telle une coque; et puis soudainement, j'ai senti que je ne pouvais pas me laisser réduire et écrasée au sol par cette seule douleur, par ce corps délabré, comme si mon esprit reprenait le dessus, en décidant de respirer à fond, me forçant à me détendre peu à peu, à prendre de la distance avec ces douleurs qui forcément allaient finir par disparaître.
Aussi, levée à 6h30, titubante dans l'effort de me redresser, de me déplier, en déséquilibre sur mes orteils, plantes de pieds et chevilles douloureuses...mais 2 heures après, je décidai de repartir, non pas en 4x4, mais à pied, à mon rythme.
Marche libératrice pour l'esprit, fin de balade certes difficile, mais c'est moi qui gagne!
Je t'aurai mon crabe, toi aussi tu vas avoir chaud et avoir mal, tu pensais m'immobiliser au sol, chez moi, et je te traîne de force du bas en haut de Petra, dans le sable et les cailloux du Wadi Rum: ce n'est pas toi qui décide de ma vie, c'est moi.
Je vais maintenant reposer mon corps, mes muscles, mes pieds, re-avaler la potion chimiesque qui t'es amère et mortifière, et plus tard, je repartirai à nouveau en voyage. Tu n'immobiliseras pas ma vie, et même si tu tires fort, je ne me laisse pas entraîner dans le gouffre.
Ne pas se laisser enfermer, diminuer, aller au-delà de ses handicaps, avec la récompense d'une joie décuplée. Ne pas s'isoler, mais vivre pleinement avec ceux que l'on aime, rire avec eux. Comme le disait Patrick Segal "Et qu'importe si la mort est en avance, le temps qui me sépare d'elle m'appartient et je veux le combler à ma convenance, hors du carcan médical, ni en enfer, ni en paradis, ni guéri, ni malade, simplement en état de communion avec ceux que j'aime".
Pendant cette semaine, j'ai cumulé tant d'inconvénients, mal aux mains, aux épaules, aux jambes, aux chevilles, aux pieds, aux dents..., de plus en plus de mal à me lever le matin, à descendre ou monter une marche, une allure de vieille au bras de mon mari, ou agrippée à l'épaule de mon fils, mais je reste convaincue que ce n'est pas grave, je crois encore en l'avenir. Car la vie et l'enthousiasme me saisissent et m'emportent, gagnante en dépit de tout.
Même s'il m'arrivait sous peu d'être à nouveau couchée sur un lit d'hôpital, je repartirai ensuite, plus loin et plus libre.
Et dans l'avion du retour, derrière moi, j'entendais la conversation de deux femmes à priori "normales", retournant à leur quotidien, sans le poids de la maladie: il est clair que j'aimerais bien être comme elles, sans crabe accroché à ma carcasse, cependant je suis convaincue - quelle prétention!- que je vis plus libre et plus intensément qu'elles, car je sais qu'au prochain tournant, la mort est peut-être là. En attendant, je danse dans ma tête.