Le regard porté sur ces lectures n'a rien de pessimiste, même si à première vue -trop rapide- cela peut sembler être le cas...à tord. Aucune résignation dans tout cela, une simple acceptation, qui n'est pas incompatible avec une volonté de Vivre.
Une envie de partager citations et extraits de lectures récentes...
Dire qu'il aura fallu tomber malade pour accepter chaque jour qui vient comme un cadeau, sans lutte.
"Voir un délice; entendre, un étonnement voluptueux; vivre, une qualité"
Le poids du ciel, Jean Giono
de Christiane Singer, "Derniers fragments d'un long voyage" :
Ecrit à l'hôpital pendant les 6 mois qu'on lui annonçait comme lui restant à vivre, quelques extraits:
"Si je ne dois pas vivre, la question lancinante est: combien de temps encore? Elle est à la fois urgente, immense, impérieuse et pourtant à écarter radicalement. Elle obstrue la source".
"Après de difficiles périodes, une belle période que j'accueille avec une gratitude tranquille et qui me permet d'être en relation avec des visages familiers de la vie. Accueillir ce qui est dans la plus extrême des simplicités possibles, sans surtout laisser une espérance folle et incontrôlable prendre le mors aux dents."
"Je ne veux pas nier les douleurs, la souffrance que cause le détraquement des fonctions naturelles, mais les espaces d'apaisement sont multiples. L'art consiste à ne pas occuper les "espaces entres" par le ruminement des douleurs traversées ou par la crainte de celles qui vont suivre."
"Notre devoir le plus impérieux est peut-être de ne jamais lâcher le fil de la Merveilles. Grâce à lui, je sortirai vivante du plus sombre des labyrinthes."
" L'important n'aura pas été pour moi de guérir à tout prix, mais d'expérimenter le feu foudroyant de cette expérience de vie, de me laisser évider par la foudre, de saisir un pan peut-être du terrifiant mystère de la souffrance physique et de voir si on peut en sortir vivant.
Mon expérience est qu'on le peut et que, guérie ou non guérie, je suis dans la pulsation de la vie. Elle est si intense que le la sens dans mes doigts en écrivant: j'ai vu ce que je voulais voir et je suis comblée.
Ceux qui voient dans la maladie un échec ou une catastrophe, ils n'ont pas encore commencé de vivre. Car la vie commence au lieu où se délitent les catégories. J'ai touché le lieu où la priorité n'est plus ma vie mais LA vie. C'est un espace d'immence liberté.
Beaucoup vivent la maladie comme une pause douloureuse et malsaine. Mais on peut aussi monter en maladie comme vers un chemin d'initiation, à l'affut des fractures qu'elle opère dans tous les murs qui nous entourent, des brèches qu'elle ouvre vers l'infini. Elle devient alors l'une des plus haute aventures de vie."
"Ma vie est devenue simple. je n'ai plus aucun concept, ni représentation. je rencontre ceux qui me rencontrent avec une innocence de moineau. J'y gagne une légèreté inconnue jusqu'alors. Je "coule" avec le flux de cette expérience, instant après instant, souffle après souffle, jour après jour, le coeur paisaible.
La force de disponibilité qui m'habite m'étonne, c'est elle qui engendre les possibles. Comment aurais-je pu soupçonner que je puisse encore être si heureuse? D'un bonheur sans fin, illimité qui ne veut rien, qui n'attend rien, sinon l'émerveillement de chaque rencontre, de chaque seconde !"
"Rien n'est insignifiant, tout a un prix et donne à l'étoffe dont la journée se tisse un caractère précieux. Il y avait trop de choses que je faisais autrefois sans y prêter l'oreille, ni le coeur, et ne sachant jamais à quoi imputer la perte de qualité qui se manisfestait dans le quotidien. Elle était tout simplement dans la perte d'intensité, de contact entre ma conscience et les gestes que je posais sur cette Terre."
"Oui, seulement si je suis capable d'accompagner ma misère, de l'admettre, de la reconnaître, elle prendra fin; mais si je tente de surmonter, de succomber à l'héroisme ou à la seule indignation "c'est horrible", alors tout de durçit et se prolonge. En prenant dans notre responsabilité ce que nous vivons, ce que nous faisons, ce que nous disons, nous avançons sur un chemin de paix. Ce qu'il y a à vivre, il va falloir le vivre".
"Ne nous laissons pas emprisonner dans cette part de nous qui est vouée à la mort."
"Ne pas oser parier sur " l'homme intérieur", sur l'immensité qui nous habite. Ne pas oser l'Elan fou, l'Eros fondateur, ne pas plonger vers l'intérieur de soi comme du haut d'une falaise."
Ah que je serre dans mes bras tous ceux que j'ai le bonheur de rencontrer sur cette Terre! je les aime, je les garde dans mon coeur, je resterai là pour eux.
de Christiane Singer, "Où cours-du? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi?" :
Dialogue sur le monde contemporain, lucidité et espoir: au milieu du brouhaha de notre civilisation qui a le vide et le silence en horreur, comment entendre la petite phrase en nous " où cours-tu?". Faire halte et avoir la révélation de l'inattendu: ce que depuis toujours nous recherchons dehors veut et peut naître en nous.
Christiane Singer se décrit comme "une femme qui s'est engagée à ne perdre des yeux sur cette terre ni le rivage de la détresse, ni celui de la délivrance, d'honorer de la même attention l'innommable souffrance des hommes et la rutilante merveille de la vie. Persuadée que si un de ces rivages se perdait dans la brume j'entrerais aussitôt dans l'illusion et la fiction. Cet écartèlement pour inconfortable qu'il soit, préserve néammoins des naïvetés d'un espoir aveugle et des complaisances paralysantes du désespoir."
"Notre société contemporaine n'a qu'un but: éradiquer à tout prix de nos existences les zones incontrôlables - zones de brouillard, de gestation, zones d'ombres- et d'instaurer partout où elle le peut le contrôle et la surveillance.
En refusant la nuit, comme le déplorait le poète Novalis, notre imaginaire collectif livre une guerre à mort contre le réel et provoque la montée de tout ce qu'il voulait éviter: la peur, le désespoir, la violence déchaînée, la recrudescence de l'irrationnel!".
"La rage de manipuler la vie, d'en extorquer le sacré, est celle de toutes les dictatures politiques ou scientifiques, et manifeste le dépit, l'arrogance des petits maîtres devant la folle, la généreuse, la sublime, l'inextricable complexité du Réel. Cette obsession impose au monde où nous vivons un ordre réductif et mortifère."
"Je dois me mettre en marche, sachant que comme tous ceux qui m'ont précédée, je n'arriverai nulle part, que comme tous ceux qui sont partis avant moi, j'échouerai, que je vais vers ma défaite certaine et que pourtant tout cela n'est pas le moins du monde triste. Personne n'exige de moi que je réussise, mais seulement que je franchisse un pas en direction de la lumière. L'important n'est pas que je porte le flambeau jusqu'au bout, mais que je ne le laisse pas s'éteindre."
"Montent à notre mémoire toutes ces situations vécues où la mort, où l'annonce de la mort imminente, ébranle la vie et la remet en marche. Que de destinées embourbées comme des charrois dans l'ennui et l'insignifiance et que toute tentative de mise en mouvement n'enlisait que plus profondément sont soudain remises à claire-voie ! Que de dialogues renoués au pied d'un lit! Que de regards tissés! L'intensite soudaine de la présence, le poids des secondes qui s'égrènent! La sensation d'étrangeté s'introduit, se faufile au coeur du plus familier, de ce qui un instant plus tôt ne semblait pas devoir mériter de l'attention. Les êtres et les choses gagnent en contour, en poids, en densité. La vraie vie, lente et appuyée, reprend ses droits, capte l'attention qui lui revient et l'agitation de nos fausses vies s'estompe. Nulle part, l'instant n'apparaît aussi fragile, aussi filigrane et digne d'attention."
"Accompagné ou non d'un affaiblissement extérieur, ce qui importe, c'est l'intensité du travail intérieur qui s'accomplit. Lorsqu'un être entre vivant dans son grand âge, le voile est soulevé, la peur de la mort surmontée!"
de Patrick Segal, "Viens la mort, on va danser":
Un accident a fait basculer dans le vide l'existence de l'auteur: à 24 ans il est privé de l'usage de ses jambes et il devient "l'homme qui marchait dans sa tête". Il parcourt le monde en fauteuil roulant en tant que reporter-photographe!
juste deux très courts extraits qui m'ont touchés:
"Et qu'importe si la mort est en avance, le temps qui me sépare d'elle m'appartient et je veux le combler à ma convenance, hors du carcan médical, ni en enfer, ni en paradis, ni malade, ni guéri, simplement en état de communion avec ceux que j'aime".
"Tu vois, l'oiseau, ce n'est pas seulement mon corps qui réclame cette traversée, c'est mon esprit qui veut traverser le miroir".
Poème de François Cheng "A l'orient de tout"
"Derrière les yeux, le mystère
D'où infiniment advient la beauté
D'où coule la source du songe
Bruissant entre rochers et feuillages
Chantant en cascade
les raisons renouvelées
Chantant les instants
de la vraie vie offerte
Matin du martinet disparu
Midi de la mésange retrouvée
Longues heures à travers le jour
Un seul battement de cils et milles papillons
prêts à s'enfouir parmi les pétales
prêts à durer tant que dure la brise
Jusqu'à la passion du couchant
où les âmes clameront alliance
Jusqu'à l'immémorial étang
où rayon de lune et onde d'automne
Referont un."