Un article inutile, inhabituel, juste pour me faire du bien!
Une parenthèse coup de gueule!
© Laure-Emmanuelle Muller
Qui peut mesurer la solitude et la détresse d'avoir un cancer métastatique depuis plus de quatre ans!
Des montagnes russes d"espoir de guérison et de récidives de plus en plus pressantes! au pronostic de plus en plus sombre.
Toujours retour à la case départ, cette attente des verdicts successifs qui tombent, dans une angoisse à vous broyer le coeur, un coup c'est bon, le crabe dort, un coup c'est reparti, le crabe est revenu.
Un sein en moins, le crâne chauve, j'avance dans ma vie, sous l'épée de Damocles qui par moment affleure mon crâne,
J'ingurgite mes chimios aux noms exotiques -carbo& taxol &5FU& acide fo- tous les jours une semaine toutes les 3 semaines, mais si elles détruisent les cellules malades, elles détruisent autant les cellules saines...
Elles détruisent mes cils, mes sourcils,
Elles détruisent mes terminaisons nerveuses, je ne sens plus mes orteils, je fais tomber les objets, mes doigts devenant insensibles, des décharges électriques dardent mon corps la nuit,
Elles détruisent mes yeux, ma vue se trouble de mois en mois,
Elles détruisent mes globules rouges, je ne peux plus monter trois marches sans m'y essouffler,
Elles détruisent mes globules blancs et mes plaquettes, j'attrape toutes les infections qui passent, gastro, angines,
Elles détruisent peu à peu les tumeurs, mais elles me sucent mon énergie et chaque soir de retour de l'hôpital je ne peux que m'effondrer sur le lit terrassée par une fatigue énorme.
La semaine qui suit, je ne suis plus que l'ombre de moi-même, chaque geste du quotidien prend une forme de sommet himalayen à gravir, et j'y grimpe tous les jours! silencieusement, seule, tâchant de montrer une surface lisse, pour rendre à mes proches le moins visible possible mes douleurs, mon épuisement, mes efforts, mes craintes, afin que la vie soit la plus normale possible pour eux…et pour moi.
Mais eux, la maladie les épuise sur le long terme, ils ont eu peur, je suis guérie, ils sont soulagés, je retombe, ils ont peur à nouveau et puis ils se lassent...
Alors ! malade ou pas malade? on se lasse de tout, même du cancer de ceux qu'on aime.
Il faudrait se décider! guérir ou mourir! ! mais cet entre-deux leur pèse, ils voudraient savoir à quelle vérité s'accrocher.
Pendant ce temps, je découvre ma vérité: après 3 récidives, je ne guérirai plus jamais, ma vie, au mieux, tient désormais au fil de la chimio, et j'ai passé le stade où je ne peux plus espérer vivre sans elle,
Drôle de refrain que fredonne mon quotidien: vous allez vivre!! vous aller mourir…vous allez vivre!! vous allez mourir…mais je souris toujours.
Je souris, je trouve la vie belle, je vais au spectacle, aux expositions, j'aide mes enfants dans leurs études, je les câline, je les prépare à être autonome, à vivre leur propre vie.
J'exploite les moindres moments de joie, je fais des photos, j'expose, j'écris, et pas seulement des coups de gueule -le premier en 4 ans…-, non, j'écris une histoire lumineuse de bonheur qui avance chapitre après chapitre, qui vivra lira...
Derrière moi, invisible aux autres, je traîne ce fardeau d'incertitude, avec une seule certitude, celle de suivre des traitements non pas pour guérir mais pour survivre.
Entendre un médecin qui m'explique qu'au mieux, je peux compter que ma prochaine chimio sera efficace 4 à 8 mois, qu'il faudra ensuite en changer, que la suivante sera efficace un peu moins longtemps, qu'il faudra alors encore en changer…et ainsi de suite jusqu'à ce que j'ai avalé toutes les chimios existantes que je n'ai pas encore consommé…et le compte de celles qui me restent se fait sur les doigts d'une main…
Aller puiser au plus profond de moi que cela vaut la peine, que la vie est belle et qu'en dépit de tout, l'espoir est permis, que je ne me plierai pas aux règles des statistiques, que la vie en moi est la plus forte,
Avoir la prétention de se croire plus forte que la maladie, plus forte que la mort, se draper de cette prétention-là et avancer.
Avancer en souhaitant ne pas montrer sa face malade, le moins possible en tout cas, et puis malgré tout, voir son entourage se lasser…non pas de vous…mais du cancer,
Lorsque le fardeau que vous trainez n'est plus supportable pour le mari…d'un commun accord, on se sépare.
Il est mieux de tirer mon fardeau seule qu'avec un compagnon de voyage qui donne des coups de pieds énervés dans le fardeau auquel je suis désormais enchaînée malgré moi.
Alors la sérénité revient, mais la vraie solitude arrive, la maladie isole, la maladie fragilise,
On est pourtant très fort devant elle, c'est extraordinaire ce qu'on peut être fort, mais on est aussi très faible,
On tient le coup, on encaisse, et puis un dimanche, des gens proches viennent vous faire la morale...
Ce, de surcroit, tout juste 48h après la fin de quatre jours de chimio, au moment où je suis le plus faible, alitée pour récupérer, sans me demander si le moment est approprié, ils débarquent pour une séance de questions inquisitrices, de critiques à peine voilées, de reproches subtilement esquissés...sur un ton désagréable, péremptoire.
De façon catégorique, d'un ton coupant, on m'explique, on me suggère…de manière dogmatique...
Le lendemain, je pleure, mais j'exagère bien sûr! pourquoi être touchée par les remarques déplacées d'une personne qui n'a ni tact, ni respect?
Personne ne comprend que je pleure pour cela, vraiment tu exagères! tu as le don de ressasser!!! de faire une montagne de petites choses!! mais je ne pleure pas pour cela!!!!! c'est au delà!
C'était juste une petite goutte d'eau en trop, malvenue et malveillante, tombée sur un coeur déjà rempli de larmes contenues, à fleur de peau,
Juste une turbulence de trop dans le vol déjà bien bousculé de ma vie, un éclat de plus qui fait une déchirure de plus!
Car ma force tient à un fil, ma force, elle est fragile…elle porte déjà très lourd…et depuis longtemps.
Oublie-t-on que le cancer rend celui qui le porte plus vulnérable?
Et oui, je n'ai plus l'énergie pour prendre le recul nécessaire devant ces flèches venimeuses qui m'ont été décochées, je suis peut-être trop éreintée pour parvenir à laisser glisser.
Je vis pleinement et heureuse en dépit de cet intrus de crabe ! je m'applique à saisir la joie au quotidien ! j'y parviens ! je continue à tenir la maison ! à aider mes enfants ! à faire rentrer les revenus pour faire vivre les miens !
Et puis, ce dimanche-là, tout explose, c'est trop, je n'ai pas eu la force de mettre à la porte ceux qui sont venu me critiquer, m'interroger, me diriger, me juger, m'expliquer, s'immiscer dans ma vie!
La colère me prend, et quoi! en plus, pas même le droit de pleurer !?
Je suis seule, je suis chauve, un sein en moins, atteinte d'un cancer, enchaînée à mes chimios qui me dévorent et me maintiennent en vie tout en même temps.
La maladie est ma compagne, mais la chaleur humaine n'est plus ma compagne, la solitude est auprès de moi, pas les bras d'un mari attentionné, pas une épaule consolatrice…le vide, la solitude absolue.
C'est de plus en plus dur, pourtant je trouve la vie de plus en plus belle, mais conserver cette beauté est de plus en plus rude, je suis de plus en plus seule.
L'amour pourrait tout alléger: se sentir entourée, aimée, soutenue, mais l'amour n'a plus de force, il est parti.
Je ne suis qu'une femme qui voudrait être tendrement enlacée par des bras aimant, qui voudrait pouvoir se blottir sur l'épaule d'un homme protecteur, un jour peut-être à nouveau...
Alors aujourd'hui, pour une fois, laissez-moi pleurer tout mon soûl !!! laissez-moi le droit de prendre un bain de larmes, de laver mon âme meurtrie,
Laissez-moi le droit -exceptionnellement- de me plaindre, de trouver la vie dure et injuste, car là, à l'instant, je n'en puis plus, je ne meurs pas de mon cancer, je meurs de solitude, de manque de chaleur humaine, de manque d'amour, de manque de compréhension, de manque de considération.
Je sais que je ne suis pas la plus malheureuse du monde, que d'autres ont un pire destin, mais laissez-moi être un peu égoïste et me lamenter juste quelques heures...
N'ai-je le droit que d'être le bon petit soldat qui marche droit? je le conteste, je ne suis pas un sur-homme…ni une sur-femme…
N'ai-je pas le droit d'en avoir marre d'être le pilier inébranlable de la famille, la femme souriante et polie?
Mais qu'importe! aujourd'hui encore, j'ai touché le fond, mais j'ai tapé du pied, et j'émerge de la vague de fond.
J'ai lavé mon âme, je ne vais garder que le bon, je ne laisserai plus m'approcher les intrus malveillants, qui, mal dans leur peau, déversent leurs propres turpitudes à mes pieds.
Je suis remplie de Vie, d'envies, de désirs, de joie, de projets, et seule ou pas, je continuerai d'avancer!
Je suis remplie de tendresse pour la vie, pour mes enfants, et je dis Merde aux mesquins, aux petits, aux égoïstes!
Demain je continue mon roman, en Mai je vais photographier la transhumance sur le plateau de l'Aubrac!
Vive la vie, merci la vie!